Papyrus Magazine été 2004

Kolyani : soigner en dansant


Papyrus: Comment t'es venue cette passion pour la danse orientale?
Kolyani : Petite, mon père, Kabyle m'emmenait dans les cabarets parisiens où se produisaient de « magnifiques princesses orientales » : je rêvais de leur ressembler.
Enfant, j'ai toujours eu envie de danser et de soigner en même temps. Mes peluches, poupées guérissaient de leurs maux multiples par des danses lentes et rapides. J'ai donc décidé à six ans de devenir danseuse et « soigneuse »... Mes parents me répondirent : non la danse n'est pas un métier, tu seras infirmière, c'est très bien!

P: Avec qui as-tu pris des cours? Que t'ont appris ces professeurs? Que t'ont-ils apporté?
K : En 1980, voyageuse dans l'âme, je suis restée en Inde plusieurs mois partageant mon temps entre l'acquisition du Bharata natyam (danse de l'inde du sud style classique) et les stages infirmiers auprès de mère Thérésa à Calcutta. C'est à cette occasion que j'ai rencontré l' « orientalisme » et son rattachement aux racines, à l'essentiel, à la conscience du mouvement...
Puis, de retour en France j'ai cherché dans les cours parisiens ce que j'avais trouvé en Inde. La danse orientale me plût tout de suite, j'avais la sensation de l'avoir toujours dansée. J'ai appris seule en dévorant sur ce sujet les cours, les stages, les livres, les vidéos, les spectacles, les CD...
La pédagogie, la technique, la musicalité, l'art de danser « dans la musique » sont les outils que j'ai approfondis en formation : en jazz avec D. Manille, en moderne technique Isadora Duncan avec O.Pyros, en danse indienne avec Savitry Naïr, en danse thérapie avec F. Shoot Bilman et en danse orientale avec Kaméllia auprès de qui je me suis arrêtée le plus longtemps en rencontrant une profonde amitié.

Enfant, j'ai toujours eu envie de danser et de soigner en même temps.


P : Peux-tu nous raconter ta première fois où tu as dansé en public ?
K : La première fois que j'ai dansé en public une danse orientale, c'était dans un restaurant à Marrakech. Une danseuse orientale m'avait remarquée et proposé de me prêter un de ses costumes pour l'accompagner au milieu des clients sur la scène éclairée. J'avais 20 ans, je tremblais de tout mon corps. Mon rêve d'être une princesse orientale se réalisait, mais l'art de danser était encore Ioin. J'ai toujours ce costume rose que je prête aujourd'hui à mes jeunes danseuses.

P : À quel moment as-tu décidé d'enseigner ?
K : J'ai commencé à enseigner en 1982 la conscience du mouvement à travers gym douce, étirement et danse moderne isadorienne. « L'orientale » est venue bien plus tard. Je ne me sentais pas prête à enseigner cet art sans en être personnellement complètement imprégnée. En 1992, j'ai ouvert mon premier cours à Fresnes (région Parisienne).

P : As-tu laissé tombé ton métier d'infirmière ?
K : Mon métier d'infirmière a toujours été une passion égale avec la danse. Diplômée d'état en 1980, je rêvais de danser dans les milieux hospitaliers. J'ai commencé à proposer des minis spectacles dans l'unité de soins palliatifs où j'exerçais et dans les résidences de personnes âgées. Jusqu'en 2000, j'ai exercé à mi-temps les métiers d'infirmière et de professeur de danse orientale. En 2001 ,j'ai fait le « grand saut » et depuis, je consacre tout mon temps à cet art à travers cours, stages et spectacles.

P : À quel genre de personne enseignes-tu? Estce que ce sont tous des malades?
Quelles sont les différences entre un cours pour des gens « normaux » et des gens souffrants de diverses pathologies ?

K : Aujourd'hui, j'exerce le métier de professeur de danse orientale égyptienne style Sharki à des enfants, adolescents et adultes dans différentes villes du Lot et Garonne (province française). Les participants à ces cours proviennent de toutes les catégories culturelles et socioprofessionnelles, ils sont de tous les âges. Il y a même quelques messieurs.
J'ai également une activité de danse thérapeute dans des institutions spécialisées (CAT : Centre d'Adaptation par le Travail, hôpital psychiatrique, association de réinsertion sociale et psychologique). Les participants sont alors des personnes en difficultés psychologiques et motrices. L'enseignement dans son fond est identique. Il est basé sur l'accompagnement de chacun dans le « mouvement-dansé » (connaissance du corps, coordination, espace, musicalité, improvisation, interprétation...).
Pour les personnes en difficultés, j'oriente principalement le travail sur la conscience du mouvement. Dans mes cours en ville, j'enseigne en plus les techniques de la danse orientale égyptienne. Ces techniques s'abordent alors avec beaucoup plus de facilité. La continuité de cette approche permet à des personnes quittant les structures médicalisées d'avoir accès à mes cours en ville.

P : Quels sont les types de spectacle que tu proposes ?
K : En 2001, j'ai créé une compagnie de danse amateur nommée « Compagnie Danse la Vie ». Elle permet à mes meilleurs élèves de vivre l'aventure de la scène, de rencontrer le plaisir de danser pour les autres et de s'épanouir dans leur féminité. Nous nous produisons aussi bien lors de fêtes de village de notre région que lors d'événements artistiques dans les théâtres du sud-ouest de la France. J'ai également des prestations publiques ou privées en tant que soliste. Celles-ci peuvent aller de la soirée privée à l'occasion d'un anniversaire, en passant par de l'animation d'une journée dans les hôpitaux jusqu'à la première partie de concert de vedettes.

« À chaque fois que je danse pour un public, je suis heureuse

P : Que penses de toi ton compagnon ?
K : Grâce à mon compagnon Jean-Loup, je peux m'épanouir entant qu'artiste. Il me soutient dans de nombreux domaines (secrétariat, technique son, technique lumière, remonte moral...).
Quant à lui, il ne dit pas grand chose, mais mes amis me disent qu'il a un regard très particulier quand il me regarde danser. C'est à dire bouche bée et l'air fasciné.

P : Tes enfants? Est-ce que les enfants disent la profession de leur mère ? Est-ce qu'ils répondent « infirmière ou danseuse ou prof de danse égyptienne » ?
K : Mes enfants m'ont vu m'épanouir à travers cet art voilà ce qu'ils en disent Lauryne (15 ans) : Au collège quand mes profs demandent la profession de ma mère, je dis d'abord infirmière « diplômée d'état » ensuite je dis « danseuse ». Je ne dis pas qu'elle danse « orientale » car ici c'est vu comme « la danse du ventre » et non un art, un métier. Je le dis à mes copines et j'en suis fière. Romain (17ans) :Au lycée, je disque ma mère est prof de danse égyptienne. Je suis très fier d'elle, mais elle est toujours infirmière car elle soigne en dansant. Je suis heureux pour elle car elle vit sa passion.

P : Quels sont tes meilleurs souvenirs dans tes cours ?
K : J'ai de nombreux très bons souvenirs dans mes cours car j'ai des élèves sincères et heureuses de danser. Un des derniers qui m'a donné les larmes aux yeux, c'est
d'entendre une jeune femme dire dans un soupir de satisfaction « ici c'est du grand bonheur ». Après un silence, tout le groupe a applaudi et youyouté.. .

P : Les plus mauvais?
K : C'était le printemps, les élèves commençaient à prendre de l'assurance et avaient décidé de montrer leur ventre et d'arborer des tenues féminines et orientales. Soudain quatre jeunes pompiers surgirent dans la salle de danse, nous évacuant immédiatement dans la rue. Il y avait le feu dans le bâtiment mitoyen. Pieds nus, habillées telles des Esmeraldas, nous n'avions que nos voiles pour nous protéger. Nous avons fait sensation, mais les danseuses, encore très timides, se sentirent mal et ne voulurent plus s'habiller ainsi les cours suivants...

P : Quel est ton meilleur souvenir de spectacle ?
K : C'est d'avoir eu l'honneur de faire la première partie du spectacle de Natacha Atlas (chanteuse égyptienne internationale) et de danser avec elle sur sa chanson fétiche Mon amie la rose.
À chaque fois que je danse pour un public, je suis heureuse. C'est un aboutissement de femme réalisée à travers cet art.

P : Le plus mauvais ?
K : C'est d'avoir dû danser lors d'une fête orientale sans musique et sans lumière. Je devais malgré tout mettre l'ambiance en attendant que le courant soit rétabli. J'ai demandé aux convives de taper dans les mains et d'allumer bougies et briquets... ouf, j'ai réussi le pari, mais ne souhaite pas recommencer.

P : Quels sont tes projets ?
K : Au-delà de mon activité actuelle, je suis en train de monter un spectacle avec des musiciens et des chanteurs professionnels. À travers la musique, la mise en scène et la danse orientale nous évoquerons différentes émotions telles que la joie, la peur, la colère, l'amour, le bonheur, le rire... Nous souhaitons dans un premier temps produire ce spectacle dans notre région du sud-ouest de la France puis au niveau national et pourquoi pas international...

P : Le mot de la fin ?
K : Au bout de vingt ans de carrière, j'ai de plus en plus conscience que Enseigner la danse qu'elle soit orientale ou autre ne s'invente pas, cela s'apprend avec du temps, des remises en questions personnelles et du travail au quotidien. Être danseuse est une rencontre profonde avec son Être. Aujourd'hui j'ai réussi mon pari de petite fille : Je soigne en dansant.


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Papyrus - Été 2004 • volume 7, numéro 3 PAGE 33 et 34